Cinq raisons qui font de la fatigue un si grand défi

par Rodolfo Giacoman, spécialiste du programme de gestion de la fatigue de la Commercial Vehicle Safety Alliance
À la fin de l’année dernière, CVSA a adopté un programme qui, bien qu’il n’a que peu à voir avec l’application de la loi, est étroitement lié à la sécurité routière : le Programme nord-américain de gestion de la fatigue (PNAGF). Le PNAGF est le fruit d’une collaboration entre les gouvernements fédéraux, étatiques et provinciaux, et des organisations de l’industrie. Le programme a été élaboré par des scientifiques spécialisés en gestion du sommeil et de la fatigue, et mis à l’essai par des transporteurs routiers du Canada et des États Unis au cours de quatre phases s’étalant sur plus de dix ans. Il est intéressant de noter que bien qu’il soit parrainé par des organismes de réglementation fédéraux, la participation s’effectue sur une base volontaire.
Si le PNAGF vise à réduire la fatigue au volant, il ne fait toutefois pas peser le fardeau tout entier de la gestion de la fatigue sur les épaules des conducteurs; leur famille, les dirigeants et les gestionnaires des transporteurs, les formateurs, les répartiteurs, les expéditeurs, les
réceptionnaires et les courtiers y jouent eux aussi un rôle.
Bien qu’il s’agisse d’un programme gratuit, il requiert un certain investissement afin de mettre en œuvre ses cinq principaux volets, soit :
- la culture de sécurité;
- le système de gestion des risques liés à la fatigue;
- le programme de dépistage et de traitement des troubles du sommeil;
- les pratiques de planification des déplacements et les technologies de gestion de la fatigue;
- la sensibilisation et la formation grâce au programme de formation du formateur et à ses diapositives PowerPoint, ou à la plateforme d’apprentissage en ligne; ces deux outils sont accessibles au nafmp.org (et pendant que vous êtes sur ce site Web, jetez un coup d’œil au calculateur de rentabilité).
Certains se demandent peut-être : « pourquoi en faire tout un plat? », « le respect des règles sur les heures de service et une bonne nuit de sommeil ne sont-ils pas suffisants pour éviter la fatigue au volant? » Veuillez examiner les cinq raisons suivantes qui font de la fatigue un défi de taille et expliquent pourquoi une stratégie globale est nécessaire pour lutter contre ce problème aux multiples facettes.
RAISON N° 1
La fatigue ne peut être réglementée
Les règles sur les heures de service permettent aux conducteurs de dormir et de se reposer, et le respect de ces règles est associé à des taux d’accidents plus bas. En règle générale, il est facile de les appliquer et elles incitent à prendre des périodes de repos pour combattre la fatigue.
Cela étant dit, les règles sur les heures de service ne constituent pas une approche proactive et encore moins une approche globale. Outre l’expérience, d’autres facteurs favorisent la vigilance des conducteurs (voir la raison no 4 pour en savoir davantage sur ces facteurs). Il est impossible de réglementer l’ensemble des facteurs de risque liés à la fatigue au volant ou encore ce que les conducteurs font dans leurs temps libres. Le fait que le conducteur soit en pause ne signifie pas forcément qu’il se repose. C’est pourquoi une approche globale et proactive est nécessaire, en plus de la réglementation sur les heures de service, afin de s’attaquer à l’ensemble des facteurs de risque associés à la fatigue au volant et d’en assurer une gestion efficace.
RAISON N° 2
La fatigue est difficile à mesurer
Il est difficile de comptabiliser les accidents liés à la fatigue étant donné qu’elle peut entrer en jeu de façon subtile. En effet, les conducteurs pourraient ne pas prendre conscience que leurs réflexes étaient engourdis par l’épuisement ou ne pas admettre qu’ils se sont endormis au volant. Il est également possible qu’ils ne se souviennent même pas du moment qui a précédé l’accident. Dans les cas plus tragiques, ils pourraient être gravement blessés ou tués lors de l’accident, laissant ainsi peu d’indices quant aux facteurs en cause. De plus, il peut s’avérer difficile de faire la distinction entre la fatigue, la distraction et d’autres facteurs d’accident.
Cela étant dit, nous savons à quoi ressemble habituellement un accident lié à la fatigue : un accident survenu entre 2 h et 7 h du matin où un seul véhicule a quitté la route. Dans la majorité de ces accidents, le conducteur était seul à bord du véhicule et roulait sur une route monotone. Le pire, c’est que les accidents liés à la fatigue sont généralement graves et causent des blessures ou la mort.
Selon une étude menée en 1990 par le National Transportation Safety Board (NTSB), la fatigue constitue le facteur principal dans environ 31 % des accidents causant le décès du conducteur. Cette étude, réalisée il y a plus de 30 ans, est depuis longtemps reconnue comme présentant la meilleure estimation du nombre d’accidents liés à la fatigue. Récemment, la AAA Foundation for Traffic Safety (AAA) a conclu, à l’issue de l’analyse de vidéos de l’intérieur de l’habitacle prises par des caméras de tableau de bord, que le nombre d’accidents mettant en cause de la somnolence est près de huit fois plus élevé que ce que suggèrent les estimations des organismes fédéraux. Selon l’AAA, les difficultés associées à la détection de la somnolence à la suite d’un accident font de la fatigue au volant l’un des problèmes de sécurité routière les plus sous-évalués.
Dans la lutte contre ce facteur de risque, les transporteurs routiers doivent mettre en place un système de gestion des risques liés à la fatigue afin de surveiller et de prévenir les incidents qui y sont associés à l’aide de technologies de gestion de la fatigue, conformément aux recommandations du PNAGF.
RAISON N° 3
La fatigue est difficile à reconnaître
Il n’est pas toujours facile de réaliser que nous sommes fatigués. Notre partialité envers nous-mêmes a tendance à nous faire croire que nous sommes des conducteurs prudents même lorsque nous ne sommes pas au sommet de notre forme. Une étude sur la fatigue et la vigilance des conducteurs a révélé que ces derniers surestiment leur état de vigilance. Les auto-évaluations étaient souvent inexactes par rapport aux mesures objectives. En fait, les auto-évaluations tendent à refléter les attentes plutôt que la réalité, par exemple : « Je viens tout juste de prendre la route, donc je ne peux pas être fatigué. » En outre, la majorité des déplacements se font en solo; ainsi, il est difficile de comparer sa conduite et son état à ceux d’autres conducteurs.
C’est pour cette raison que le PNAGF comprend une formation pour les conducteurs sur l’identification des signes objectifs de fatigue, notamment l’abaissement des paupières, les bâillements, les pensées vagabondes, les balancements et les mouvements brusques de la tête, la réduction du champ de vision, les gigotements, les ajustements de la ventilation, la conduite sur les ralentisseurs sonores, la conduite hors de sa voie, les coups de volant, les réactions tardives ou incorrectes et le pire, les micro-sommeils.
RAISON N° 4
La fatigue dépend de facteurs internes et externes
Deux catégories générales de facteurs influencent la vigilance : les facteurs internes et externes. Les facteurs internes comprennent la quantité et la qualité de sommeil, le moment de la journée (lequel influence l’horloge biologique, aussi appelée « rythme circadien »), le temps de veille (lequel influence le chronomètre biologique, aussi connu sous les noms « pression de sommeil » ou « moteur homéostatique du sommeil »), la consommation de stimulants ou d’autres drogues, l’état de santé général, les prédispositions génétiques et l’humeur. Ces facteurs internes déterminent la vulnérabilité de chacun à la fatigue, quel que soit le moment de la journée. Il n’est pas si simple de passer une bonne nuit de sommeil lorsque l’on a les horaires, les exigences de travail et les conditions de sommeil d’un conducteur de véhicules commerciaux, encore moins si l’on souffre d’un trouble du sommeil ou d’un problème de santé chronique, comme la fibromyalgie, qui accroît la fatigue.
C’est pourquoi le PNAGF fournit aux conducteurs de l’information sur les mécanismes du sommeil et ses effets sur les facteurs internes. C’est également la raison pour laquelle le programme de dépistage et de traitement des troubles du sommeil est l’un des cinq éléments essentiels de tout programme de gestion de la fatigue.
En ce qui concerne les facteurs externes, ils se divisent en deux sous-groupes : les facteurs liés aux tâches et les facteurs environnementaux. Parmi les facteurs liés aux tâches figurent la durée, la complexité et la monotonie de la tâche. Les tâches trop complexes ou monotones augmentent la fatigue; l’idéal est une tâche « au goût de Bouton d’or », à savoir une tâche dont la complexité et la monotonie sont parfaitement équilibrées. Quant aux facteurs environnementaux, ils comprennent les conditions routières et météorologiques, la température, le bruit, les vibrations, la conception du véhicule, l’éclairage, les interactions sociales (lesquelles augmentent la vigilance, mais peuvent être source de distraction) et autres sources de stimulation.
Bref, même si les conducteurs prennent toutes les mesures nécessaires pour contrôler les facteurs internes – notamment passer une bonne nuit de sommeil –, les facteurs externes peuvent tout de même diminuer leur vigilance et provoquer des accidents liés à la fatigue.
Le PNAGF offre aux conducteurs de la formation sur diverses mesures pour contrer la fatigue quel que soit le type de facteurs qui affaiblissent leur vigilance. La règle d’or pour contrer la fatigue est encore et toujours de prendre une pause pour faire une sieste.
RAISON N° 5
La vigilance n’est pas intermittente, elle suit une gradation
La vigilance n’est pas un état qui s’active et se désactive. Nous ne passons pas de parfaitement réveillés à endormis ou vice-versa en un instant; c’est un processus graduel, comme un indicateur de niveau de carburant. Lorsqu’il indique que le réservoir est plein, nous sommes en état d’éveil complet et lorsqu’il indique que le réservoir est vide, nous sommes endormis.
La gestion de la fatigue entre en jeu dans l’intervalle entre ces deux états. Lorsque le réservoir est plein aux trois quarts, nous sommes moins éveillés, mais encore capables de fonctionner. À mi-réservoir, notre vigilance est affaiblie. On parle alors d’« hypovigilance », soit lorsque notre champ de vision se rétrécit (hypnose de la route, white line fever [fièvre de la ligne médiane], dormir les yeux ouverts). Les micro-siestes, soit le fait de s’endormir au plus 30 secondes, parfois à l’insu du conducteur, surviennent lorsque l’indicateur montre qu’il ne reste plus qu’un quart du réservoir et que nous nous sentons somnolents.
Dans cette analogie entre la vigilance et le réservoir de carburant, la grande différence est qu’un véhicule fonctionnera parfaitement jusqu’à ce que le réservoir soit complètement vide, alors que la vigilance nécessite un état d’éveil – ou un réservoir – complet ou presque complet pour fonctionner correctement.
Comment maintenir la vigilance des conducteurs à pleine capacité? La solution est la mise en œuvre des cinq volets du PNAGF mentionnés au début du présent article. Si vous êtes un conducteur, profitez de la sensibilisation et de la formation en matière de gestion de la fatigue qui vous sont offertes au module 3 du PNAGF et apprenez-en davantage sur le problème de la fatigue, la science du sommeil, les signes objectifs de fatigue, les mesures pour la gérer, les mythes qui l’entourent, et les commandements de la gestion de la fatigue. Et voilà! C’est en travaillant ensemble à mettre en œuvre des stratégies globales de réduction de la fatigue que nous aidons nos conducteurs de véhicules automobiles commerciaux à contrer la fatigue au volant.
Nouveaux outils du PNAGF
- Séminaires Web (en anglais seulement) accessibles au public : Rendez-vous au nafmp.org/webinars pour vous inscrire aux prochains séminaires en direct ou visionner les enregistrements précédents.
- Forum de la plateforme d’apprentissage en ligne : Après vous être inscrit gratuitement à l’un des cours offerts par le PNAGF en vous rendant au lms.nafmp.org, n’hésitez pas à participer à la conversation ou à poser des questions dans le forum accessible via l’onglet « Accueil » situé dans le coin supérieur gauche de la page.
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